Un architecte francais qui croit en « l’architecture sacrée », Pascal Boivin, a écrit un texte la nuit de l’incendie dévastateur de Notre Dame de Paris. Boivin parle de cette tragédie comme d’un « feu rédempteur ». Un texte puissant à lire quelque soit notre foi, nos croyances.
«Notre Dame de Paris, cœur de la capitale, phare spirituel de l’Ile de France, est l’axe historique de la nation. Nos ainés, les maîtres bâtisseurs ont fondé sur l’ile de Cité un foyer rayonnant qui a nourri les pages du temps. La cathédrale est une pièce maîtresse dans un ensemble, autant en France qu’en Europe, qui constitue un maillage énergétique vivant irriguant l’esprit du continent depuis près d’un millénaire.
L‘incendie du 15 avril à l’aune de la semaine sainte ou le soir même d’un rendez-vous politique important est-il une simple fatalité ?
Les lieux saints, religieux, lieux d’énergies, parlent aux âmes qui veulent les entendre.
Notre Dame , ce joyau touristique est pénétré quotidiennement par des dizaines de milliers de personnes. Pour les énergéticiens des hauts lieux, il est reconnu que la qualité sensible du lieu est affecté par ce flux constant pas forcément porté vers la spiritualité qui est la vocation initiale de l’église.
Les grands édifices sont des caisses de résonnances que les architectes luthiers du moyen âge ont réglé pour porter les vibrations de la liturgie de l’époque. Le contenu a évolué au fil des siècles, mais la puissance de ces vaisseaux est restée intacte. Peu d’initiés savent encore piloter ces émetteurs-récepteurs des échanges entre la terre et le cosmos, entre la vie profane et les mystères de l’Esprit. Au fil des siècles, des évènements, la cathédrale a accompagné les moments de l’histoire de chacun et la destinée de tous. Et elle paraît démesurée pour la vie d’aujourd’hui.
Si la cathédrale est la pierre sur laquelle est bâtie l’église catholique, la République aussi l’a faite sienne. Les légendes des siècles ont pénétré les joints de la pierre, et le peuple de Paris y a logé ses peines.
En ce soir rougeoyant, le ciel a pris feu et l’incendie a gagné la forêt. Le ciel a parlé.
Pour les bâtisseurs, la pente de la toiture constitue la racine du ciel et chaque angle a un sens pour mettre en vibration les proportions de l’édifice. La cathédrale tout à coup étêtée semble aplatie. Toutes ses antennes lancées vers les étoiles se sont effondrées. Le bois s’est embrasé, le plomb a fondu, les couvertures se sont affaissées. Les gargouilles n’auront plus rien à vomir, les voûtes nues seront livrées aux affres des intempéries.
Si l’élan de la perfection permet à la pierre de Notre Dame de résister comme celle de sa sœur, la cathédrale de Reims qui a tenu lors des bombardements de 1914, alors les flux de la terre trouveront encore le chemin du ciel et le vaisseau jaillira à nouveau vers les nues.
Ce brasier de la Pâque a conjointement une connotation spirituelle, une dimension symbolique, et une portée politique,
Au plan spirituel, l’embrasement de la forêt, l’effondrement de la charpente, la brèche de la nef, et toutes les meurtrissures des joyaux de ce monument sont une métaphore du martyr chrétien. Notre Dame abrite la couronne d’épine du Christ et certains croyants y verront un écho qui rebondit entre les millénaires.
Au plan symbolique, la cathédrale est le lieu qui accueille le peuple et l’éveille au ressenti de l’élévation. Contrairement aux lourdes voûtes romanes souvent réservées au recueillement intérieur des communautés d’initiés, la dentelle de pierre des nefs gothiques appelle la lumière, celle qui élève le regard vers le ciel. La cathédrale est un média, un amplificateur de vibrations qui stimule et harmonise les rythmes vitaux avec ceux du cosmos.
Ce feu rédempteur nous privant pour un long moment de l’instrument de l’éveil nous oblige à puiser en nous des forces autonomes. Il vient nous suggérer que le temple premier est notre corps. Il nous dit que la vibration est au cœur de notre cellule. Il nous montre que la lumière est l’information qui donne le souffle à notre ADN. Il ne s’agit plus de chercher la spiritualité ailleurs, uniquement dans la religion, dans les textes ou dans les lieux sacrés, ce que plus grand monde pratique. L’Esprit est au cœur du vide intérieur, cet espace subatomique, au delà même des particules élémentaires, ce vide sidéral dont la vacuité est la substance de notre plénitude.
Enfin, le réseau des cathédrales forme un réseau de communication en parallèle au réseau des monastères des différents ordres religieux, notamment celui des Cisterciens. Ce maillage du territoire européen a innervé la construction de la civilisation de l’Europe par delà les royaumes et les nations, a tissé ses valeurs communes, et porté la puissance de la pensée.
A l’heure du chacun pour soi et de la dislocation de l’esprit commun, l’embrasement d’un des pivots de l’esprit européen provoque un choc émotionnel qui appelle un rebond des consciences. Le drame n’est pas gratuit.
La destruction de Notre Dame de Paris, par l’émotion qu’elle provoque, par l’élan de solidarité qu’elle suscite, révèle la portée universelle de ce haut lieu chargé d’histoire. Chacun en Europe s’y reconnaît car chacun possède en lui un tel lieu qui a porté ses peines, ses drames, ses deuils, mais aussi ses couronnements, ses célébrations, ses liesses.
La Cathédrale est un lieu de réconciliation et de paix. Que la plus emblématique s’effondre et toutes se lèvent pour l’épauler et la porter à se relever.
Le feu de l‘action appelle la mise en réseau des initiatives, des solidarités, des responsabilités.
L’énergie cathédrale est peut-être née ce premier jour de la semaine pascale. Cette mort du lieu porte en elle la renaissance d’un lieu de vie dont chacun est le porte flambeau. Une sorte de foi républicaine qui trouverait la paix à travers l’intégration de ses racines chrétiennes.
Cesser de râler et se vouer à l’initiative. Se mettre positivement en mouvement. L’action comme prière, et l’accomplissement comme célébration.
Puisse ce feu des siècles nettoyer les scories de nos histoires, et unir les êtres dans le partage de leur patrimoine commun universel. La cathédrale intérieure est le lieu d’une intériorité vivante et généreuse qui se reconnaît dans l’autre et accueille sa richesse. »
Auteur : Pascal Boivin, architecte, le 15 avril 2019.
Merci à Vincent Houba, Les Architectures Invisibles, pour avoir publié ce texte sur Facebook.